Ils étaient sortis toute la nuit et n’étaient rentrés que vers sept ou huit heures du matin. Dans l’appartement de Jasmin, ils s’étaient écroulés sur le sol. Ses longues boucles blondes s’éparpillaient sur la moquette noircie par les années, ses yeux gris et trop maquillés quant à eux, le scrutaient.
« Qu’est-ce qu’il s’est passé, déjà ? »
Il poussa un long soupir las qui lui arracha un petit sourire. Elle lui posait la même question presque tous les mois et prétendait oublier à chaque fois. Selon elle, il fallait en parler pour se sentir mieux.
« Ma mère est morte.
_ Quand ?
_ Il y a quatre ans. Le huit juin.
_ Pourquoi ?
_ … Parce qu’elle ne m’aimait pas, je suppose.
_ Jasmin.
_ Parce qu’elle m’a eut à dix-sept ans, qu’elle s’en est rendue compte trop tard pour avorter et que mon père la quittée, je sais. »
Elle ne répliqua pas, trouvant soudainement un intérêt particulier pour le plafond mais attrapa sa main de ses fins doigts.
« Eliade ?
_ Oui ?
_ Je t’aime.
_ Je sais. »
Eliade n’était pas son vrai nom. Elle n’avait jamais voulu le lui dire. Peut-être n’en avait-elle pas. Elle avait quatre ans de plus que lui et était sa sauveuse.
Il l’avait rencontrée il y a cinq ans. Sa mère était encore en vie et lui avait demandé des cigarettes. En bon garçon et par peur de perdre sa seule famille sans la rendre heureuse un minimum, il avait voulu lui en acheter. Pour un garçon de onze ans, ce n’était pas la meilleure chose à faire que de sortir seul et tard la nuit, à une heure où les buralistes ne sont plus ouverts. A cette époque, elle n’avait que quinze ans et errait comme un fantôme dans les rues. Tout le monde la connaissait. On la qualifiait de putain et interdisait les enfants de l’approcher. Elle était là, comme toujours et l’avait observé d’un air ennuyé. Elle devait bien se foutre de lui, le pauvre petit seul dans le noir. Pourtant, elle finit par l’aborder et, si Jasmin était premièrement resté sur ses gardes, il avait finit par s’intéresser à la jeune femme. Ils étaient pareils : Ils évitaient les gens et n’avaient pas une bonne réputation. Le lendemain, le surlendemain, la semaine suivante et ce pendant des années ils s’étaient revus. Au point que Jasmin tombe amoureux de son amie. S’il avait profondément été touché par la mort de sa mère, Eliade l’avait consolé et surtout, lui avait offert un nouveau monde. Un monde de décadence. Ils créaient leurs lois, s’amusaient et ne faisaient attention à personne. Leur réputation s’aggravait de jours en jours mais ils ne s’en occupaient pas. Jasmin l’aurait suivie au bout du monde. Jusqu’à ses dix-huit ans, ils restèrent ensembles et vivaient une parfaite vie de couple, sans en être un. Même si elle entraînait le garçon plus bas que terre, même si elle lui avait fait goûté à l’alcool, même si elle lui avait dit d’arrêter l’école, il ne pouvait se passer d’elle. C’est pour ça qu’il eut l’impression d’être détruit quand sa seule amie disparu. Nulle part, elle n’était nulle part. Pendant deux ans il l’avait recherchée sans relâche. Il avait ensuite abandonné, bien qu’avec difficulté. Son amour pour elle avait disparu mais laissait place à un gros manque.
« Tu sais, j’aime pas ces histoires de destin. J’veux décider moi-même d’mon futur. Peut-être que je me suiciderai. Tu sais, tu prévois ta mort, tu peux choisir une mort lente ou courte, belle ou morbide… En public ou non. Peut-être que j’le ferai vers mes quarante ou cinquante ans. Mais je voudrai voir l’effet que ça fait. J’pense que je partirai un jour, sans prévenir personne. Mes plans culs seront tristes, mais toi … ? Enfin, j’crois que j’partirai en australie. Les kangourous, tout ça, j’aime bien. Et puis personne n’ira me chercher là-bas. J’t’aimerai toujours.
Eliade. »
Il avait trouvé ce message inscrit sur une vieille feuille par pur hasard, tandis qu’il cherchait désespérément un tee-shirt propre dans la pagaille de son appartement. L’australie, ça ne devait pas être si mal… Peut-être qu’il referait sa vie là-bas ?